Le statut unique ouvriers - employés dans la pratique

Analyse La loi du 26 décembre 2013 qui a déjà fait l’objet d’un grand intérêt de la part des media, et qui se situe dans le contexte de l’unification du statut des ouvriers et employés, nécessite les employeurs d’effectuer dorénavant des adaptations au niveau de leur politique d’emploi et de son exécution.

Ci-après quelques suggestions pratiques.

Bien qu’il soit fait (trop) aisément référence au «  statut unique » dans le contexte de la loi du 26 décembre 2013, force est de constater que ce concept « statut unique » relève encore d’un euphémisme énorme.

Une réelle unification du statut des deux catégories de travailleurs prendra encore de nombreuses années :
• des commissions paritaires distinctes restent compétentes pour les ouvriers et employés dans la plupart des secteurs industriels avec comme conséquence que les conditions de rémunération et de travail sont négociées pour ces deux catégories à des niveaux différents ;
• les ouvriers sont toujours payés au taux horaire alors que les employés reçoivent une rémunération mensuelle ;
• les différentes réglementations relatives aux congés annuels demeurent encore inchangées.

Par une longue tradition, un nombre de conditions de travail des ouvriers se sont presque irrémédiablement distanciées de celles des employées. L’exemple par excellence est celui de l’assurance groupe qui pendant plusieurs années n’était seulement offerte qu’aux employés. Toutes les parties concernées (le gouvernement et les partenaires sociaux) se sont mises d’accord maintenant apparemment que cette différence devra être disparue en 2025.

Même en terme des délais de préavis, objet principal de la loi du 26 décembre 2013, les différences entre ouvriers et employés continueront de se faire ressentir durant encore de nombreuses années. Lors du recrutement d’un nouveau travailleur – même après le 1er janvier 2014 - la qualification d’ouvrier ou d’employé continuera à s’imposer.

Toutefois, la loi du 26 décembre 2013 a quand même causé un léger bouleversement. En effet, force est de constater que la gestion du personnel devra être révisée à plusieurs niveaux, et que les documents utilisés pour la mise en œuvre de cette gestion (comme le contrats-type et les règlements de travail) devront être adaptés.

Voici quelques exemples pratiques de modifications devant avoir lieu :

1. La suppression de la période d’essai 

La suppression de la période d’essai est vraisemblablement pour nombre d’entre nous  un changement inattendu qui fut introduit par la loi du 26 décembre 2013.

• Il est bien connu que  la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit une période d’essai : pour les ouvriers la durée de la période d’essai était fixée à 7 jours au minimum jusqu’à un maximum de 14 jours ; il était  possible de résilier le contrat sans préavis après les 7 premiers jours d’essai.
• Pour les employés la durée de la période d’essai était entre minimum 1 mois et maximum 6 mois pour autant que la rémunération annuelle ne dépassait pas les 38.665 € brut, ou de maximum 12 mois en cas d’une rémunération annuelle supérieure. Dès l’expiration du premier mois, il était possible de résilier le contrat pour autant qu’un préavis de 7 jours soit respecté.

La suppression de la période d’essai est donc surtout  importante pour les employés.

Lors des discussions parlementaires, le Ministre De Coninck a justifié la suppression de la période d’essai par la réduction considérable des délais de  préavis, applicables pour les employés en vertu de la nouvelle loi durant les premiers mois de travail.

Cette évidence ne peut être niée. 

Pour les employés, engagés après le 1er janvier 2014, il n’est plus question de délais de préavis de 3 mois. Pourtant, là où pour les employés dont la rémunération brut annuelle excédait le montant de 38.665 €, un délai de préavis de 7 jours était applicable, en vertu de la législation applicable jusqu’au 31 décembre 2013, durant les 12 premiers mois (pour autant bien sûr qu’une période d’essai de 12 mois était  contractuellement prévue), cette  période de préavis à respecter s’élève maintenant à 2 semaines durant le 1er trimestre de l’emploi pour augmenter jusqu’à 7 semaines lorsque le licenciement se produit au cours du quatrième trimestre. En tout état de cause, une augmentation significative !

La période d’essai devait être établie par écrit pour chaque travailleur individuellement. Par conséquent, la période d’essai était généralement prévue dans le contrat de travail. Dans la mesure où l’on utilise des contrats type de travail ceux-ci doivent être adaptés par la suppression des dispositions concernées.

Egalement d’autres références éventuelles à la période d’essai dans le contrat de travail doivent être adaptées. Dans ce cadre, il est important de faire référence à la clause de non-concurrence contenue dans les contrats de travail. Cette clause n’est pas d’application en cas de rupture du contrat de travail au cours de la période d’essai. A partir du 1er janvier 2014, cette clause ne sera plus applicable en cas d’une rupture du contrat de travail au cours des 6 premiers mois de l’emploi. La référence faite à la période d’essai par la clause de non-concurrence doit donc également être remplacée par une référence aux 6 premiers mois de prise de fonction. Cette période de 6 mois, en remplacement de la période d’essai dans cette matière, est également applicable aux clauses de non-concurrence extensives et pour les représentants de commerce.

La durée de la période d’essai pouvait être déterminée dans le règlement de travail. Le règlement de travail doit donc être modifié par la suppression de ces dispositions en question. En principe une procédure particulière  en vue de modifier un règlement de travail doit être respectée. Néanmoins, la modification, dont question ci-dessus nous semble parfaitement défendable sans devoir respecter cette procédure de modification, et ce sur base d’une lecture extensive de l’article 14.q de la loi sur les règlements de travail. En vertu de cet article, une modification des dispositions du règlement de travail relatives à la durée des délais de préavis peut être effectuée sans respect de cette procédure. A notre avis, la suppression de dispositions relatives à la période d’essai dans ces circonstances constitue en réalité principalement une modification de la durée des préavis applicables. Dès lors, le non-respect de cette procédure est parfaitement défendable pour une telle modification du règlement de travail.

Il est également parfois fait référence à la période d’essai dans le cadre de l’applicabilité d’autres  conditions de travail. Notamment, lorsqu’il s’agit de voiture de sociétés, celle-ci n’est souvent accordée qu’après la période d’essai. Il en va de même pour la participation à une assurance groupe ou une augmentation du salaire. Il faut donc également modifier toutes ces dispositions.

2. L’application des nouveaux délais de préavis

Bien que n’étant pas strictement nécessaire et pas exécutoire dans la plupart des cas, un renvoi aux dispositions légales prévoyant un délai minimal de préavis de 3 mois durant le 1er quinquennat d’ancienneté, à augmenter de 3 mois par chaque tranche entamée de 5 ans d’ancienneté, était régulièrement inséré dans les contrats de travail pour employés.

Pour les employés engagés à partir du 1er janvier 2014, ce minimum légal est dans un grand nombre des cas plus avantageux en comparaison aux nouveaux délais de préavis.

La nouvelle loi autorise que des périodes de préavis plus favorables que celles, fixées par la loi, soient convenues contractuellement entre l’employeur et le travailleur. Par conséquent, en cas d’un engagement d’un employé après le 1er janvier 2014, les dispositions prévues dans le contrat de travail, encore référant aux délais de préavis conformément à l’ancienne réglementation plus avantageuse, seront applicables et cette ancienne réglementation restera donc applicable. La nouvelle loi serait donc inopérante dans de nombreux cas. En vue de prévenir cela, il est donc nécessaire de supprimer de telles dispositions dans les contrats types de travail.

Conformément à la loi sur les règlements de travail, les délais de préavis applicables ou la façon dont ils sont calculés doivent être mentionnés dans les règlements de travail. Afin d’éviter tout malentendu, il est donc de la plus haute importance que les dispositions contenues dans le règlement de travail, référant  aux délais de préavis comme applicables jusqu’au 31 décembre 2013, soient complètement modifiées par des dispositions adaptées à la nouvelle réglementation.

Pour de tels changements du règlement de travail, il n’est pas obligatoire de respecter la procédure particulière de changement dudit règlement.

3. Un problème assez délicat : les délais de préavis convenu lors de l’embauche

Cette question épineuse est la conséquence d’une rédaction maladroite de la nouvelle législation.


La loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail permettait à l’employeur et l’employé dont le salaire annuel brut à l’embauche dépassait les 64.508 €, de fixer de commun accord les délais de préavis à respecter par l’employeur pour autant que le minimum légal était respecté. Dans la plupart des cas, cette possibilité était utilisée par les employeurs en vue de limiter les délais de préavis au minimum légal  pour les hauts cadres.

L’article 68 §2 de la loi du 26 décembre 2013 prévoit que la durée de préavis pour les employés qui au 31 décembre 2013 étaient en service, en ce qui concerne l’ancienneté acquise jusqu’au 31 décembre 2013, est déterminé sur base « … des règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur au 31 décembre 2013…. ».

Il s’ensuit donc de cette disposition que les accords, valablement conclus avant le 31 décembre 2013 concernant le préavis à respecter par l’employeur, restent applicables quant à l’ancienneté acquise au 31 décembre 2013.

TOUTEFOIS, le paragraphe suivant de l’article 68 dispose que : « … ce délai est, par dérogation (…) (au paragraphe précédent) fixé à un mois par année d’ancienneté entamée … ».

A suivre littéralement le texte de la loi, les délais de préavis de l’employeur déterminés contractuellement avant le 31 décembre 2013 sont donc mis à l’écart.

Au cours des débats parlementaires, le Ministre De Coninck a réitéré plusieurs fois que ces accords doivent quand-même être respectés. Ces déclarations de Ministre De Coninck ne correspondent donc pas au texte de la loi. Le gouvernement voulait donc autre chose que ce qu’il a disposé dans la loi. Un simple ajout au texte du paragraphe en question de l’article 68 aurait permis de clarifier les choses et d’éviter tout malentendu. Pour quel motif, le Ministre de Coninck n’y a pas recouru, demeure un mystère.

4. Les contrats de travail à durée déterminée ou pour un travail déterminé

En application de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, des indemnités de rupture particulières étaient  dues en cas de rupture du contrat de travail à durée déterminée ou pour un travail déterminé (sauf pour motifs graves) avant l’arrivée du terme ou l’achèvement des travaux. L’indemnité était égale  à la rémunération pour le délai restant à courir du contrat de travail avec un maximum de 2 fois la compensation applicable en cas d’un  contrat de travail à durée indéterminée.

Ce principe  était  tempéré par la possibilité d’insérer une période d’essai dans le contrat de travail. Durant cette période d’essai, le contrat de travail pour une durée déterminée ou pour un travail déterminé pouvait être résilié avec application des préavis spécifiques applicables durant la période d’essai.

Par la suppression de la période d’essai par la nouvelle loi du 26 décembre 2013, cette possibilité tombe désormais à l’eau. Afin d’y remédier, la nouvelle loi permet de mettre fin au contrat de travail pour autant que le délai de préavis, applicable pour les contrats de travail à durée indéterminée, soit respecté, et ce durant la première moitié de la durée du contrat de travail pour une durée déterminée ou un travail déterminé (mais ne dépassant pas les 6 premiers mois). Une fois ce délai venu à terme, l’indemnité de rupture particulière reste due en cas de résiliation  avant l’expiration du terme (sauf dans le cas de rupture pour faute grave).

Pour éviter tout malentendu entre les parties, nous estimons  qu’il serait plus approprié d’inclure ces nouvelles règles de manière expresse dans le contrat.

5. Le travail intérimaire

La flexibilité dans le recrutement– en compensation de la suppression de la période d’essai – n’est pas seulement favorisée par l’introduction de la possibilité de résilier le contrat de travail pour une durée déterminée ou un pour un travail déterminé pendant une certaine période moyennant le respect d’un délai de préavis.

L’expansion des possibilités de faire appel au travail intérimaire en vue de remplir un emploi  vacant, s’inscrit également dans ce contexte (même si ce n’est pas expressément mis dans ce contexte par le législateur).

Il est de notoriété commune que la réglementation sur le travail intérimaire a été appliquée de manière extensive. Il n’était pas rare qu’un candidat pour un emploi permanent était occupé en premier lieu en tant qu’intérimaire, et  la législation le permettait dans une certaine  mesure.

Cette possibilité a été considérablement élargie par la loi du 26 juin 2013 et la convention collective de travail n° 108 d’accompagnement, conclue au sein du Conseil National du Travail le 16 juillet 2013. Afin de combler un poste vacant, l’employeur peut en premier lieu occuper le candidat comme travailleur intérimaire, et ce avec l’intention d’occuper le candidat après l’occupation intérimaire avec un contrat à durée indéterminée : dans ces circonstances, le travail intérimaire peut légalement être appliqué pendant une période de 12 mois.

En d’autres termes, de cette façon une forme déguisée de la clause d’essai a été rendue légalement possible durant une période de 12 mois, quel que soit le niveau de la fonction ou de la rémunération.

6. L’obligation de motivation

Excepté dans des cas et circonstances particulières, la loi belge n’imposait aucune obligation à l’employeur de motiver sa décision de résilier un contrat de travail.

Cependant, une exception à ce principe était prévu à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail: le licenciement d’un ouvrier était considéré comme abusif, en vertu de cet article, si les raisons qui justifient ce licenciement ne présentent aucun lien avec les compétences ou le comportement de l’ouvrier, ou avec les besoins opérationnels de l’entreprise : en cas de contestation, il appartient à l’employeur de démontrer que le licenciement n’est pas arbitraire et si l’employeur n’arrive pas à apporter cette preuve, il est redevable d’une compensation forfaitaire équivalente à 6 mois de salaire. Assez surprenant, à notre avis, cet article n’était invoqué que sporadiquement dans le passé et n’était donc pas utilisé systématiquement pour forcer l’employeur d’une manière générale de motiver le licenciement d’un ouvrier.

La Belgique fut critiquée à maintes reprises par des organisations internationales telles que l’Organisation Internationale du Travail, en raison de l’absence d’obligation générale de motivation à charge de l’employeur en cas de résiliation d’un contrat de travail.

Dans l’accord du 5 juillet 2013, le principe est repris que chaque travailleur a le droit de connaître les motifs de la rupture de son contrat de travail. En contrepartie de ce droit, il y a évidemment l’obligation de l’employeur de communiquer ces motifs. Depuis l’existence de l’accord du 5 juillet 2013, ce principe était généralement qualifié comme l’introduction d’une obligation générale de motivation d’un licenciement.

CEPENDANT, le gouvernement et le parlement n’eurent malheureusement pas le courage d’élaborer eux-mêmes une telle réglementation. La patate chaude a été transférée aux partenaires sociaux qui ont été demandés d’élaborer le corps de ce principe dans une convention collective de travail conclue au sein du Conseil National de Travail. Ils bénéficiaient d’un délai jusqu’au 31 décembre 2013.

Finalement, les partenaires sociaux ont réussi à conclure un accord qui sera connu comme la « CCT n° 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement ».

Dans la CNT n° 109 le contenu de « l’obligation de motivation » est rempli de deux façons :

6.1. Un droit général du travailleur de connaître les motifs de son licenciement

L’employeur n’a pas l’obligation de communiquer de sa propre initiative les motifs de sa décision au travailleur au moment de la rupture du contrat de travail d’un travailleur. Rien n’empêche qu’il le fasse, mais si il ne le fait pas, aucune sanction s’impose.

Le travailleur, qui désire connaître ces motifs, a la possibilité d’en demander la communication à son ancien employeur, et ce par lettre recommandée envoyée dans les deux mois suivant le licenciement. Si l’ancien employeur ne donne pas suite à cette demande dans les deux mois, il est redevable d’une « amende civile forfaitaire » correspondant à deux semaines de rémunération, payable au travailleur.

Sans doute, cette nouvelle notion « amende civile forfaitaire » provoquera des commentaires multiples. En tout état de cause, les partenaires sociaux ont demandé le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de faire de sorte que cette amende ne soit pas qualifiée de « salaire » en matière de la sécurité sociale et en matière de la réglementation relative au chômage. La qualification fiscale se fera sans doute dans le même sens.

6.2. Le licenciement manifestement déraisonnable

Le licenciement manifestement déraisonnable se définit comme un licenciement qui « … se base sur des motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessitées du fonctionnement de l’entreprise … … et qui n’aurait jamais été´ décidé par un employeur normal et raisonnable.»

Par l’ajout du test « employeur normal er raisonnable » les partenaires sociaux ont voulu accentuer que le contrôle est marginal sans un jugement quelconque relatif à l’opportunité de la gestion de l’employeur.

Une tache importante est donc attribuée à la jurisprudence pour donner dans la pratique un contenu à la notion « licenciement manifestement déraisonnable ».

La charge de preuve relève de l’employeur ou du travailleur selon le cas où le travailleur a ou n’a pas demandé à son employeur la communication des motifs de son licenciement (item 1 ci-dessus) et selon le cas où les motifs, invoqués par l’employeur pour démontrer que le licenciement n’est pas manifestement déraisonnable, correspondent ou ne correspondent pas aux motifs, communiqués déjà préalablement au travailleur dans le contexte de sa demande, dont question au item 1 ci-dessus.

Si le licenciement est manifestement déraisonnable, le travailleur a droit à une indemnisation correspondant au minimum à trois semaines de rémunération et au maximum à 17 semaines de rémunération. Par conséquent, encore une fois, une rôle primordiale pour les tribunaux et cours de travail.

Pour une analyse plus détaillée de cette obligation de motivation (exceptions, cumul avec d’autres indemnisations, etc.) référence est faite à une contribution particulière qui sera disponible sur notre site web d’ici quelques jours.

En savoir plus sur ce sujet ?

Contactez nos experts ou appelez le n° +32 (0)2 747 40 07
Leila Mstoian

Leila Mstoian

Partner